M. KHACER Med Ouramdane est l’un des anciens militants de la cause Amazigh les plus actifs en France avec un parcours qu’il a entamé depuis le début des années soixante.
Ancien Membre de l’Académie berbère, il a consacré toute sa vie au militantisme. Khacer, a été forcé à l’exil en 1969, après avoir fait passer une chanson de Slimane Azem à la chaine II où il travaillait.
Il était parmi les premiers Algériens à qui on accordait l’exil politique à l’époque. Khacer créera l’une des premières associations berbères en 1985 à Roubaix. Ces dernières années, il anime plusieurs conférences dans des universités françaises sur l’Amazighité et la démocratie. Dans cet entretient, il revient sur plusieurs facettes de la culture amazighes.
Interview réalisée par Syfax Wuzguen
Vous êtes de ceux qui pensent qu’il ne fallait pas politiser la question amazighe. Pourquoi ?
Comment peut-on politiser la question amazighe alors que l’identité historique qui en découle appartient a tous les Algériens, je dirais même à tous les Amazighiens* Maghrébins-Nord Africains ?
Pour comprendre cela, je vais développer un peu ma réflexion qui appelle cette réponse.
Tout au cours de l’histoire, les Amazighs ont reçu différents apports qui ont nourri leur personnalité et leur culture. Ces apports ne peuvent pas constituer des identités. Les Amazighs avant d’être confrontés aux Phéniciens, aux Romains, aux Byzantins, aux Vandales, aux Arabes, aux Turcs et aux Européens, avant de parler et d’écrire en punique, latin, grecque, arabe, français, espagnol, italien, avant d’adopter les trois religions monothéistes, étaient des Amazighs, parlaient en amazigh et écrivaient en Tifinnegh tout naturellement.
C’est cette amazighitude* qui tire ses racines du substrat amazigh qui a forgé les différentes identités nationales des pays de l’Amazighie*, elle en constitue la sève et le socle. Elle est notre identité.
C’est cette conception de l’identité historique enracinée dans cette partie de l’Afrique qui doit être consacrée. C’est elle qui nous rassemble et nous unit. Elle ne peut pas être une dimension parmi tant d’autres. (Arabité, islamité, francité, hispanité, latinité, chrétienté…), elle est l’identité.
Nous pouvons donc considérer que les Amazighophones, les Arabophones et les Canariens de l’Amazighie*- Maghreb - Afrique du Nord se fondent dans la même identité historique amazighe. Ce sont tous des Amazighs. Quant à la langue amazighe, elle constitue le patrimoine commun. Elle a été la première langue naturelle de tous les Algériens et par extension de tous les Amazighiens-Maghrébins-Nord Africains pendant une grande période de l’histoire de ce pays et de cette grande région d’Afrique. Elle est aujourd’hui la langue maternelle de près de 40 millions de personnes.
Par conséquent, la co officialité de l’amazigh demeure un droit historique inaliénable. C’est une exigence, une chance et une échéance pour l’avenir des pays de l’Amazighie. La solution de la question amazighe dans les pays de l’Amazighie* n’interviendra qu’à partir du moment où nous commencerons à nous réapproprier notre Identité Historique Amazighe. La co officialité de la langue amazighe interviendra aussi avec l’avènement d’une véritable démocratie.
Ferhat Mhenni préconise l’autonomie de la Kabylie pour la préservation et la promotion de la culture amazighe. Que pensez-vous de cette proposition ?
Le désir d’autonomie par certains militants découle du déni identitaire. Les partisans de l’Algérie libre et démocratique exigent la reconnaissance identitaire amazighe depuis le début de l’Etoile Nord Africaine. La revendication de l’autonomie est une suite logique à toutes les revendications d’officialisation de la langue amazighe qui remontent à l’indépendance de notre pays et qui demeurent lettres mortes. L’ostracisme du pouvoir face aux revendications légitimes d’une partie du peuple peut conduire certains militants à rechercher d’autres voies de salut.
Quant à moi je préfère le terme de régionalisation qui ne peut trouver son aboutissement que dans une Algérie libre et démocratique. En ce qui me concerne, depuis ma première révolte dans le collège Verdi de Taourirt-Mimoun (At-Yanni) et de mon engagement au sein de l’académie berbère en 1969, je continue à me battre par le biais de l’association Afus Deg Wfus et aux travers de mes conférences pour la co officialité de la langue amazighe, la généralisation de l’écriture Tifinnegh et l’avènement d’une Union Amazighienne-Maghrébine-Nord Africaine qui intègre les Iles Canaries. (Le gouvernement autonome canarien a accueilli, participé à l’organisation et au financement du 1er Congrès Mondial Amazigh à Tafira dans la Grande Canaria) en 1997.
Après tant d’années de sacrifices, avant qu’il ne soit trop tard, il est grand temps pour les gouvernements des pays d’Amazighie de répondre favorablement aux revendications légitimes des populations par l’officialisation de la langue amazighe.
Une polémique est née concernant les caractères à adopter pour l’écriture de la langue Tamazight. Vous êtes pour les caractères arabes, latins ou Tifinagh ?
Je dirai comme Mouloud MAMMERI, grand visionnaire que l’adoption des caractères Tifinnegh résulte du simple bon sens. L’amazigh doit s’écrire avec son propre système d’écriture, c’est-à-dire en Tifinnegh. Pourquoi aller chercher ailleurs ce que nous avons chez nous ?
Dda lmouloud écrivait dans la préface du livre de Hamouna « grammaire berbère » (Octobre 1987). « Nous avons utilisé les caractères latins pour des raisons pratiques mais demain le berbère doit s’écrire en berbère, c’est-à-dire, en Tifinagh aménagé, c’est le simple bon sens ».
Fidèle à cette grande figure de l’Amazighitude et défenseurs du Tifinnegh, les membres de l’association Afus Deg Wfus ont fait un pas dans ce sens en réalisant en 1993 le premier standard des polices de caractères en TIFINAGH issu de l’aménagement de l’Académie Berbère avec l’adaptation par notre association de deux lettres et l’introduction du W en 1989. Il y’a deux ans, en passant par la librairie de l’aéroport d’Alger, j’ai trouvé le Coran traduit en amazigh écrit en Tifinnegh (Standard Afus Deg Wfus) d’où ma fierté. J’ai d’ailleurs offert cet ouvrage à l’IRCAM lors de l’Université d’Eté d’Agadir qui s’est tenue en juillet 2010 et où j’étais invité d’honneur. Cette traduction a été faite par Remdhan Ath Mensour, un génie de la littérature amazighe. Aujourd’hui c’est ce standard avec quelques modifications réalisées par l’IRCAM qui est utilisé officiellement dans les écoles pour l’enseignement de la langue amazighe au Maroc.
A cet effet, je me félicite et me réjouis du choix judicieux de l’alphabet Tifinnegh qui a été fait par le Maroc pour l’enseignement de la langue amazighe.
Une pensée à Mas Mahdjoubi Ahardan ce grand militant de l’amazighitude qui a eu l’intelligence de conseiller aux premiers membres de l’Académie Berbère l’utilisation de l’alphabet Tifinnegh et qui a publié en 1995 dans l’hebdomadaire Marocain Tidmi mon premier plaidoyer pour la généralisation de l’alphabet Tifinnegh où je réclamais déjà l’officialisation de la langue amazighe, la généralisation de son écriture Tifinnegh et leur introduction dans l’administration, le passeport, la carte d’identité ainsi que dans la monnaie.
De nos jours, la majorité des Amazighs adhèrent naturellement à ces caractères Tifinagh. Tout autre choix graphique les amputerait d’une partie importante de leur identité, c’est-à-dire d’eux-mêmes.
La langue amazighe ne peut s’inscrire dans la modernité qu’avec son propre système d’écriture et il appartient à tous ses enfants de lui ouvrir la fenêtre sur le monde de la connaissance et de la découverte. Les nations d’Amazighie doivent s’enorgueillir de posséder un des plus vieux systèmes d’écritures du Monde. Le passeport, la carte d’identité, la monnaie et tout autres documents administratifs de ces pays doivent être écrits d’abord en Tifinagh, il y va de leur liberté, de leur existence culturelle et de leur indépendance politique.
C’est avec une grande fierté que j’adresse mes chaleureuses félicitations à tous les membres de l’IRCAM qui font un travail remarquable par une production scientifique, didactique et pédagogique et qui ont permis au Tifinnegh, deuxième alphabet avec l’amharique en Afrique d’intégrer l’Unicode.
J’adresse mes ferventes salutations, fraternelles et militantes aux deux recteurs Mas Mohamed CHAFIQ et à Mas Ahmed BOUKOUS. Ils ont fait le choix du cœur et celui du bon sens en optant pour l’alphabet Tifinagh que nous ont légué nos ancêtres.
Syfax N’Ath Wezguen
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire