mardi 8 janvier 2013

Officialisation de la langue amazighe par M. KHACER Med Ouramdane Atsamrouch (2e partie)


Entretien réalisé par Syfax N’Ath Wuzguen



L’Académie berbère avait été durant une dizaine d’années le foyer de toute une génération de militants amazighs mobilisés pour la défense et la réhabilitation de la langue et de l’identité amazighes dans les pays de l’Amazighie.
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Plusieurs militants de la cause berbère ne sont plus de ce monde. La relève est-elle vraiment assurée ?

L’Académie berbère avait été durant une dizaine d’années le foyer de toute une génération de militants amazighs mobilisés pour la défense et la réhabilitation de la langue et de l’identité amazighes dans les pays de l’Amazighie. Le premier travail de vulgarisation de l’histoire, de sensibilisation et de conscientisation des populations par la diffusion de l’alphabet Tifinnegh a été principalement l’œuvre de cette Académie « Agraw Imazighen » de Paris, de l’Académie Berbère de Roubaix fondée par moi-même en 1971 ainsi que de l’Union du Peuple Amazigh (UPA) fondée en 1974 par le grand militant, regretté et ami Amar Neggadi.
Aujourd’hui, nous pouvons dire que cette Académie avec les autres organisations ont rempli leur mission avec succès. C’était le pot de terre contre le pot de fer. Face aux menaces et aux pressions incessantes, les premiers militants ont accompli avec courage et dignité la tâche de sensibilisation et de réhabilitation de l’identité, de la langue amazighes et de l’alphabet Tifinagh. Ce travail militant a engendré le printemps berbère de 1980 qui demeure l’un des événements majeurs de l’Algérie indépendante.
Grâce à ce travail désintéressé de sensibilisation et de conscientisation, les Amazighs se sont forgés aujourd’hui une mémoire et une identité commune qui s’étend de l’Egypte aux Iles Canaries, du nord de l’Algérie au sud du Niger.
L’espoir est permis. Création du HCA en 1994 en Algérie et de l’IRCAM en 2002 au Maroc. Suite aux grandes manifestations de Rabat, Marrakech et Agadir le 20 février dernier, le jeune roi Mohamed VI vient de déclarer le changement de la Constitution avec la prise en charge officielle de l’amazighité.
La relève est assurée. Dans tous les pays d’Amazighie, des étudiants, des jeunes et moins jeunes continuent le combat sous des formes variées avec de nouvelles stratégies. Des mouvements naissent un peu partout. De multitudes d’associations se sont créées à l’intérieur du pays, en Europe, en Amérique, et un peu partout dans le monde. Toutes les instances internationales sont investies par de nombreux militants amazighs organisés en ONG et internationalisent le combat identitaire.
Je laisse la parole au guide et au sage Mouloud MAMMERI :
« Quels que soient les obstacles que l’histoire lui apportera, c’est dans le sens de sa libération que mon peuple, et à travers lui les autres, ira. L’ignorance, les préjugés, l’inculture peuvent un instant entraver ce libre mouvement mais il est sûr que le jour inévitablement viendra où l’on distinguera la vérité de ses faux-semblants. Tout le reste est littérature ».
Je profite de cette occasion pour avoir une pensée et rendre hommage à tous les compagnons du combat identitaire, je nomme Med Saïd Hanouz, Amar Naroun, Mouloud Mammeri, Ali Sayad, Slimane Azem, Haroun Mohamed, Smaïl Medjber, Amar Neggadi, Hend et Ramdane Sadi, Ben Mohamed, Abdelmadjid Bali, Hessas Abdelkader, Med Ouyahia, Hassan Hirèche, Bessaoud Med Arab, Mouloud Kaneb, Med Saïd Hamiche, Mustapha Aouchiche, Mustapha Bounab, Berkouk ahmed, Salem Ould Slimane, Djekouane Belkacem, Bairi Hend, Chebli Mohamed, Mohand Oussaïd, Makhlouf Rachid, Ali Fatah, Smahi Djilali ainsi qu’à tous les artisans de l’amazighitude.

Contrairement au Maroc, en Algérie, le combat identitaire est presque mis en veilleuse ces dernières années. Quelles sont les raisons de cette situation à votre avis ?

Le Mouvement amazigh est l’expression d’une revendication identitaire, culturelle et linguistique, qui, au nom de la démocratie, revendique une prise en charge du patrimoine commun et présente une vision globale d’une Algérie moderne, libre, démocratique, tolérante, ouverte sur le monde. De ce fait, l’ensemble des revendications s’inscrit dans le combat pour la Démocratie et le respect des droits de l’homme. La revendication culturelle amazighe demeure indissociable du combat pour cette Algérie libre démocratique.
Au Maroc le mouvement culturel amazigh est porté par de nombreux intellectuels qui réclament tous l’officialité de la langue amazighe. Il existe au Maroc une stratégie de négociation et toutes les régions du Maroc sont représentées dans le mouvement culturel amazigh. Les amazighophones au Maroc représentent près de 70% de la population.
Bien que les amazighophones représentent de 40 à 50% de la population, portée par une seule région, la revendication culturelle en Algérie depuis l’indépendance se solde à chaque période par des confrontations avec le pouvoir. Ces confrontations ont endeuillé plusieurs familles par le sacrifice de plusieurs Martyrs. Aujourd’hui, l’Algérie reconnait l’amazigh comme langue nationale dans la constitution en faisant payer un lourd tribut à son peuple et à sa jeunesse.
N’oublions pas que les grandes manifestations initiées par le mouvement des citoyens ont laissé plusieurs familles en deuil avec un terrible bilan de 132 Martyrs et plus de 5000 blessés. Combien de Martyrs faudrait-il encore de sacrifices pour faire aboutir les revendications légitimes de tout un peuple ?
S’il est certain que le statut de langue nationale confère à une langue un certain renom, c’est le statut de langue officielle qui lui donne des droits véritables. Son utilisation dans l’administration, à l’école, dans les médias… Il est urgent de satisfaire la reconnaissance officielle de l’amazigh et de lui attribuer des moyens juridiques et institutionnels indispensables à son réel développement.

Pensez-vous que la langue Tamazight sera officiellement reconnue en Libye après la chute du régime de Kadhafi ?


Bien entendu, de nombreux militants Libyens sont passés par l’Académie Berbère. 
Les Libyens mènent depuis longtemps un combat pacifique pour la réappropriation de l’identité amazighe et la co officialité de la langue qui en découle. Cette co officialité de la langue amazighe est un droit historique inaliénable. Dans une Libye libre est démocratique que j’appelle de mes voeux, la question ne doit même pas se poser.
Permettez pour conclure de citer notre guide, ce visionnaire en lui rendant un énième hommage. Je veux évoquer Dda LMULOUD / Les événements d’aujourd’hui lui donnent raison.
« Quand trop de sécheresse brûle les cœurs,
Quand la faim tord trop d’entrailles
Quand on rentre trop de larmes,
Quand on bâillonne trop de rêves,
C’est comme quand on ajoute bois sur bois sur le bucher
A la fin, il suffit du bout de bois d’un esclave
Pour faire dans le ciel de dieu et dans le cœur des hommes
Le plus énorme incendie »
Ceux, qui comme moi militent depuis fort longtemps pour que soit reconnue la langue amazighe comme langue officielle à côté de la langue arabe, connaissent l’œuvre gigantesque de Dda LMULUD.
Il a été et demeurera notre guide. Il a donné à la littérature algérienne ses lettres de noblesse. Sa grammaire berbère éditée en 1976 restera le fondement essentiel de notre langue. Sa sortie a permis son développement et a encouragé de nombreux jeunes à des créations d’œuvres littéraires ouvrant la langue et la culture berbères à l’universalité. Dda LMULUD demeurera le symbole de l’éternité amazighe et celui de l’Homme Libre.
Son nom restera à jamais ancré dans la mémoire de son peuple et traversera les générations futures. Demain, je suis sûr que l’on dira la langue de Dda LMULUD pour la langue amazighe, comme on dit la langue de Molière pour le français, de Shakespeare pour l’anglais et de Goethe pour l’allemand.
En conclusion, nous pouvons dire que les Amazighs dans leur combat identitaire sont décidés à réhabiliter et à se réapproprier leur identité historique amazighe sur toute l’aire d’Amazighie, la terre de leurs ancêtres. Cette revendication pacifique s’inscrit dans une légitimité historique et un droit naturel inaliénable. Celle-ci passe par l’officialité de leur langue et la reconnaissance de leurs droits conformément à la déclaration des droits de l’Homme. Cette révolution pacifique est aussi leur façon de dire aux dirigeants de leurs pays qu’ils ne se laisseront plus marginaliser, qu’aucune conception de l’avenir ne peut se faire sans eux et sans la connaissance et la fierté de l’histoire et de la civilisation amazighes. Ils les invitent à abandonner l’idéologie arabo islamo baâthiste obscurantiste et meurtrière qui entrave la construction de l’Union Amazighienne démocratique qu’ils appellent de leurs voeux. Ils exigent de ces gouvernants des Etats démocratiques respectueux des droits de l’homme. C’est ainsi qu’ils pourront s’inscrire dans la course universelle de l’intelligence humaine. C’est une exigence, une chance et une échéance pour l’avenir des pays de l’Amazighie*- Afrique du Nord.

DEFINITION PAR MED OURAMDANE KHACER
Amazighie* = Maghreb, Afrique du Nord (Territoire avec les Iles Canaries)
Amazighien*= Maghrébin, Nord Africain (Amazighophone, Arabophone, Canarien)
Amazighitude* = Amazighité
Tifinnegh* = Tifinagh (Signifie notre trouvaille)

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